Par Pauline LACHICHE, Notaire
Du fait de l’internationalisation des clients, de la prisée des étrangers pour l’immobilier de prestige et des résidences secondaires plus si secondaires que cela, il n’est pas rare que les praticiens du droit soient confrontés à un trust constitué à l’étranger.
Inconnue du droit civil français, cette institution est depuis la loi du 29 juillet 2011 (L. fin. Rect. 2011, n°20011-900, 29 juillet 2011 : JO 30 juillet 2011, p.12969) intégrée à nos règles fiscales sous un aspect punitif. Les trusts sont souvent considérés, à tort, comme des outils d’évasion fiscale ou accusés d’opacité. Pourtant, ils constituent un outil d’organisation patrimoniale et de planification successorale très répandu dans les pays anglo-saxons notamment à travers les trusts révocables dits « revocable living trust » ou « inter vivos revocable trust » qui permettent de contourner une procédure judiciaire d’homologation de la succession, le « probate » très lourd et onéreux à mettre en place.
Le trust n’est défini en France que sous le prisme du droit fiscal par « l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un État autre que la France, par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou des droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé » (art. 792-0 bis CGI ).
Outil de gestion patrimoniale, le trust peut se révéler opportun à plusieurs égards (A). Pour autant, il est aussi synonyme de lourdeur en termes de fiscalité en France (B). Intéressons-nous plus amplement par un petit tour d’horizon fiscal aux impacts d’un trust en France.
A- De l’intérêt de constituer un trust
1- La gestion des biens du constituant sa vie durant
Le trust peut être constitué en perspective de confier à un tiers, le trustee (une personne de confiance, une banque ou une société de gestion), la gestion de certains des actifs du constituant sa vie durant. Il peut aussi être perçu comme un outil de transition afin de gérer un patrimoine familial avant transmission à la génération à venir ou pour isoler la gestion du patrimoine propre de chacun des époux.
2- Le contrôle des biens lors du décès du constituant
Les pays de common-low connaissent un système de la succession aux biens. La succession n’est pas dévolue directement aux héritiers, lesquels ne reçoivent un patrimoine net qu’après administration par le personal representative ou par le trustee. La succession, distribuée sous forme de boni de liquidation, peut en effet :
-
- faire l’objet d’un contrôle judiciaire lors d’une succession légale ou testamentaire par la nomination d’un administrateur homologué par le Tribunal, le personal representative, impliquant que les détails de la succession soient portés à la connaissance du public,
- ou être confidentielle, sans publication, à travers un trust constitué du vivant du défunt. Dans la majorité des cas, un Grantor (US) / Settlor (UK) trust révocable par le constituant sa vie durant, devient irrévocable à son décès en perspective d’une transmission aux bénéficiaires.
L’idée est simple, celle de nommer à travers le trust un administrateur, chargé d’administrer, de gérer et de disposer des biens selon les termes et conditions du trust, au profit des bénéficiaires que le constituant aura désignés ou qui le seront par le trustee si ce pouvoir discrétionnaire lui a été accordé. La gestion des actifs compris dans le trust se fera sans transition et sans contrôle judiciaire permettant ainsi une grande latitude au constituant qui pourra lui-même définir les droits et obligations du trustee. Les trusts révocables américains sont souvent couplés à un « Pour-over Will », testament permettant de transférer tout ou partie des biens au trust ou de « verser » les biens qui auraient été omis. Tout bien qui ne ferait pas partie du trust déclencherait la procédure de contrôle judiciaire.
3- Un outil d’optimisation fiscale successorale aux Etats-Unis
A noter qu’un trust peut comprendre la naissance d’autres trusts au décès du constituant :
-
- un époux peut prévoir un bypass trust pour permettre au conjoint survivant de recueillir les biens. Cette catégorie de sous-trust lui laissera toute latitude de percevoir les revenus tout en réservant le capital pour les enfants du couple, avec toutefois une liberté accordée au trustee de lui allouer un capital nécessaire à sa santé, son éducation, son maintien et support en tenant compte de toutes les ressources financières mises à la disposition du conjoint survivant. Il est le plus souvent limité au montant de l’abattement de la federal estate tax ou lifetime exemption (12 920 000 dollars en 2023 qui pourrait être réduite de moitié en 2026),
- un marital trust peut être créé au-delà des montants placés en bypass trust au profit du conjoint survivant qui a la double casquette de trustee et de bénéficiaire sa vie durant.
La citoyenneté du conjoint survivant est prise en compte par l’Oncle Sam :
-
- lorsque le survivant a la nationalité américaine, il peut bénéficier d’une maritale deduction qui lui permet de différer le montant des droits dus à son décès, de sorte que la taxation éventuelle se fera sur le patrimoine global du couple au second décès.
- dès lors que le conjoint survivant n’a pas la citoyenneté américaine :
-
-
- les biens devront être versés ou détenus dans un trust dit Qualified Domestic Trust,
- un trustee américain est requis pour permettre au survivant de bénéficier de cette maritale deduction, qu’il soit un membre de la famille de nationalité américaine, une banque ou une société de gestion domiciliée aux Etats-Unis,
- la maritale deduction sera possible dans la limite de la lifetime exemption si le personal representative revendique les cas de figure de l’article 11.3 de la convention fiscale franco-américaine relative à l’éviction des doubles impositions en matière de donation / succession du 24 novembre 1978 modifiée par avenant du 8 décembre 2004 : i) le défunt était domicilié soit en France soit aux Etats-Unis ou possédait la citoyenneté américaine ; ii) le conjoint survivant du défunt était domicilié soit aux Etats-Unis soit en France ; et iii) si le défunt et le conjoint survivant du défunt étaient domiciliés aux Etats-Unis au moment du décès, l’un ou les deux possédait la nationalité française.
-
Ce sous-trust pourra en outre imposer l’identité des bénéficiaires au décès du survivant (ce qui sera souvent le cas en présence d’enfants nés d’une première union) ou au contraire accorder à l’époux le droit de modifier les bénéficiaires résiduels.
Précision étant ici faite que l’intérêt de l’apport en trust a été réduit dans le cadre de la fiscalité britannique depuis le 22 mars 2006 :
-
- l’apport en trust est un chargeable lifetime transfer soumis à une inheritance tax de 20% (au-delà de 325 000 £) dès lors que le constituant est domicilié au Royaume-Uni,
- une principal charge est due tous les 10e anniversaires de l’apport sur la valeur nette du trust,
- la distribution est soumise à une exit charge.
B- Quid des obligations déclaratives et de la fiscalité en France ?
1- Les déclarations, le remède du fisc à l’opacité
Dès lors que le trust a un lien avec la France, la loi impose deux types de déclarations (article 1649 AB du CGI) qui viendront alimenter le registre français des trusts placé sous la responsabilité du ministre chargé du budget. Ce lien ce caractérise par le fait:
-
- que le constituant, le trustee ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France,
- que le trust comprend un bien ou un droit qui y est situé,
- ou que le trustee, administrateur du trust, résidant en dehors de l’Union européenne acquiert un bien immobilier ou entre en relation d’affaires en France au sens de l’article L. 561-2-1 du code monétaire et financier (relation professionnelle ou commerciale censée s’inscrire dans la durée).
- Une obligation évènementielle :
Déclarer la constitution, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu des termes du trust, dans le mois de l’évènement (versement d’intérêts ou dividendes à déclarer une fois l’an voire après la cession des titres qui les a générés, décès du constituant…).
Sont à transmette à l’Administration (article 344 G sexies du CGI) « notamment l’indication de sa révocabilité ou de son irrévocabilité, de son caractère discrétionnaire ou non et des règles régissant l’attribution des biens ou droits mis en trust ainsi que de leurs produits » qui peuvent revêtir des informations qui serviront à la taxation en France des biens placés en trust au décès du constituant.
- Une obligation annuelle :
Déclarer la valeur vénale au 1er janvier de l’année des actifs placés dans le trust, avant le 15 juin de chaque année :
-
- Pour les personnes qui ont en France leur domicile fiscal au sens de l’article 4 B du CGI, l’ensemble des biens,
- Pour les non-résidents, les seuls biens et droits situés en France et les produits capitalisés placés dans le trust.
- Matérialisation des déclarations :
Lorsque le trust existait déjà au 31 juillet 2011, date d’entrée en vigueur de la loi, le domicile fiscal est apprécié à cette date. Une déclaration devait être faite sur le contenu du trust et son mode de fonctionnement.
Le critère du domicile fiscal s’apprécie chaque année au 1er janvier de l’année de sorte qu’une expatriation en France d’un des bénéficiaires peut déclencher l’obligation déclarative.
Le trustee se doit de déposer ces déclarations au service des impôts des entreprises des non-résidents situé à NOISY-LE-GRAND.
- Sanctions en cas d’abstention :
Le trustee qui omettrait de remplir ses obligations déclaratives encourt une amende de 20.000 euros par déclaration omise[1].
Perte de l’exonération du prélèvement sui generis lorsque les actifs imposables à l’IFI n’atteignent pas le seuil d’assujettissement.
Application d’une majoration de 80% sur les droits dus en cas de rectification sur des actifs non déclarés qui n’ont pas été inclus dans l’assiette de l’impôt sur le revenu, de l’IFI, des droits de mutation à titre gratuit sans excéder 20.000 euros.
Le droit de reprise de l’Administration est porté à 10 ans.
2- La fiscalité des revenus
On rappellera que le trust dépourvu de personnalité morale en France ne saurait être imposé lui-même (CE, 9ème et 10ème chambres réunies 20 mars 2020 n°410930).
- Les revenus distribués
Sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales, seuls les produits distribués par le trust à un résident fiscal français sont imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers[2]. Cette imposition pallie le fait que le trust n’est ni une entité de société de personnes de l’article 8 du CGI ni une entité soumise à l’impôt sur les sociétés au sens de l’article 206 du CGI. Ne seraient pas imposables les produits capitalisés ou les distributions de capital.
L’absence de distribution n’est pas toujours source d’absence d’imposition pour les portefeuilles-titres placés en trust lorsqu’une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans cette entité constituée à l’étranger soumise à un régime fiscal privilégié[3].
- Les revenus fonciers et les revenus en capital (plus-value immobilière)
Si on analyse les divers trusts possibles, il est possible de différencier :
-
- Les trusts révocables : le constituant qui ne s’est pas dessaisi du patrimoine placé en trust demeure le redevable des revenus fonciers et des gains en capital dont il est toujours le bénéficiaire.
- Les trusts irrévocables : les bénéficiaires du trust pourraient être appréhendés comme les propriétaires réels et taxables à ce titre.
La plupart des trusts comprenant des constituants et bénéficiaires personnes physiques, la liquidation de l’impôt serait bien celui applicable au traitement des revenus fonciers et à la plus-value immobilière des particuliers.
3- Les droits de mutation à titre gratuit
La fiscalité des trusts en matière de transmission va dépendre, sous réserve des conventions fiscales internationales applicables en matière de droit de donation ou succession, de la possibilité pour le notaire français d’analyser la transmission comme une succession ou une donation sous la présomption figurant à l’article 752 du CGI. « Sont présumées, jusqu’à preuve contraire, faire partie de la succession, pour la liquidation et le paiement des droits de mutation par décès, les […] biens ou droits placés dans un trust défini à l’article 792-0 bis, dont le défunt a eu la propriété ou a perçu les revenus ou à raison desquelles il a effectué une opération quelconque moins d’un an avant son décès. »
La désignation des bénéficiaires et son interprétation ne sont pas sans conséquence sur leur taux d’imposition si l’on prend bonne connaissance des dispositions de l’article 792-0 bis du CGI.
Si le constituant était fiscalement domicilié dans un des Etats ayant conclu avec la France une convention internationale applicable en matière de succession, il est fort probable que la France se verra retirer son droit d’imposition (à l’exception de tous immeubles que le trust pourrait avoir en France). On citera l’exemple de la convention franco-américaine du 24 novembre 1978 modifiée par avenant du 8 décembre 2004 qui prévoit en son article 12.6 applicable aux actifs financiers taxables au domicile du défunt que « Si dans le cadre de l’application de la présente Convention, un bien n’est imposable que dans l’un des Etats contractants et que cet impôt, ainsi déterminé, n’est pas payé (pour une autre raison qu’une exonération spécifique, abattement, exclusion, crédit ou déduction) dans cet Etat, un impôt peut être prélevé sur ce bien dans l’autre Etat contractant ». Les portefeuilles de valeurs mobilières inclus dans un revocable living trust sont transmis au jour du décès du constituant. Inclus dans la déclaration de succession américaine d’un constituant résident fiscal américain et soumis à la lifetime exemption, la France n’aurait pas le droit de les taxer.