Par Sandra BAUR, Notaire stagiaire
Démarrer une opération de construction immobilière nécessite de maitriser les différentes étapes clefs d’un chantier dont fait partie la souscription des assurances liées à ce projet. Quelles assurances doivent être souscrites au cours d’une telle opération ? Dans quels cas sont-elles obligatoires ? Par qui et à quel moment ? Toutes ces questions que doivent se poser tant l’entreprise que le maitre d’ouvrage, mais aussi l’acquéreur successif en cas de revente.
Nous focaliserons le présent rappel sur les deux assurances majeures obligatoires à savoir (I) l’assurance de responsabilité civile décennale et (II) l’assurance dommages-ouvrage.
I – L’assurance de responsabilité civile décennale
Champ d’application – Responsable de la souscription – Caractère obligatoire
Personnes assujetties : Les personnes assujetties à l’obligation d’assurance d’une police de responsabilité civile décennale sont celles répondant de la garantie décennale visée à l’article L 241-1 du code des assurances à savoir les constructeurs ou réputés comme tels conformément à l’article 1792-1 du Code Civil.
Cette obligation s’impose ainsi aux personnes suivantes, savoir :
- Le « constructeur-mandataire du propriétaire » à savoir le promoteur immobilier ou tout autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.
- Le « constructeur-technicien » à savoir les architectes, les bureaux de contrôle technique ou encore le fabricant d’EPERS.
- Le « constructeur-vendeur » à savoir le vendeur après achèvement du bien qu’il a construit (ou fait construire), ou encore le vendeur d’immeuble rénové dès lors que l’importance des travaux envisagés les fait assimiler à des travaux de construction.
On souligne que ne sont pas soumis à cette obligation d’assurance les sous-traitants ou le coordonnateur Sécurité et Protection de la Santé (SPS).
Conditions de la nature de l’opération : Le domaine de l’assurance obligatoire est calqué sur celui de la responsabilité décennale visant notamment la notion d’«ouvrage».
Nb : Même si cette notion n’a pas de définition précise dans les textes, la jurisprudence semble s’accorder sur l’importance d’un ancrage au sol ou à une partie d’ouvrage préexistante.
Sont ainsi concernés, savoir :
- la construction d’un nouvel ouvrage
Etant ici précisé que l’article L 243-1-1 I du code des assurances prévoit des cas d’exclusion absolue comme les ouvrages neufs maritimes, lacustres, fluviaux, ferroviaires (…) et des cas d’exclusion relative comme les voiries, ouvrages piétonniers, parcs de stationnement, réseaux divers, canalisations, (…) (sauf si l’ouvrage ou l’élément d’équipement en question est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance)
- les travaux constitutifs d’un ouvrage sur existant
On vise ici le cas de la rénovation par la mise en œuvre de « lourds travaux » avec création/modification des structures ou création de planchers sans se limiter uniquement à la maçonnerie ou aux travaux sur des murs porteurs mais visant ainsi tous les travaux constitutifs de l’ouvrage. On peut citer pour illustrer cela le cas de travaux permettant de maintenir l’étanchéité d’un immeuble.
- les installations-adjonctions d’éléments d’équipement destinés à faire fonctionner l’ouvrage sur un existant.
Il est ici question d’élément d’équipement faisant indissociablement corps avec l’ouvrage et dont le remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. Sont néanmoins exclus expressément les « éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. »
On peut donner comme exemple l’installation d’une cheminée comportant la création d’un conduit maçonné ou encore d’un système de ventilation et de production d’air chaud…
Objet de la garantie et bénéficiaires : Il est ici question de garantir la réparation des dommages matériels qui apparaissent après la réception des travaux affectant avec une certaine gravité l’ouvrage de nature immobilière compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination.
Au bénéfice classiquement du maître d’ouvrage et de l’acquéreur de l’ouvrage, on note également un transfert de cette assurance en cas de revente du bien aux propriétaires successifs (= subrogation dans les droits du 1er maitre de l’ouvrage sans modification de la durée de la garantie).
Mise en œuvre et durée de la garantie
En pratique, avant l’ouverture du chantier, le professionnel a l’obligation de remettre au maitre d’ouvrage une attestation d’assurance de responsabilité civile décennale couvrant ainsi les dommages survenus pendant une période de 10 ans à compter de la réception des travaux.
Une prise en charge des désordres intervenus après 10 ans est envisageable en cas de désordres dits « évolutifs » (c’est-à-dire des désordres de nature décennale dont les effets se poursuivent après l’expiration du délai de 10 ans sous la condition d’un désordre initial constaté intervenu dans le délai de 10 ans).
Sanctions à défaut de souscription d’assurance responsabilité décennale
Sanctions pénales : L’article L243-3 du code des assurances sanctionne pénalement l’absence de souscription d’un emprisonnement de six mois et/ou d’une amende de 75 000,00 €. Etant ici précisé (i) que ces dispositions ne s’appliquent pas pour un particulier construisant un logement pour lui-même ou pour le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint et (ii) qu’il y a prescription après 3 ans à compter de l’ouverture du chantier.
Sanctions civiles : L’absence d’assurance ne peut entrainer la nullité du contrat de vente sauf si son bénéfice a été une condition déterminante du consentement et que la non-souscription a été sciemment dissimulée à l’acquéreur (Civ 3ème 13.11.2003).
II – L’assurance dommages-ouvrage
Champ d’application, souscription & caractère obligatoire de l’assurance dommage-ouvrage
Personnes assujetties : L’assurance dommages-ouvrage a été rendue obligatoire par la loi SPINETTA du 4 janvier 1978 insérant via l’article L 242-1 du code des assurances en son alinéa 1 que cette assurance doit être souscrite obligatoirement par toute personne agissant en qualité de :
- De propriétaire de l’ouvrage,
- De vendeur (d’immeuble à construire/achevé/à rénover),
- Ou de mandataire du propriétaire (pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs).
Quelques exceptions sont prévues dans les textes aux termes de cet article notamment pour les personnes morales de droit public.
Objet de l’assurance : C’est une assurance de chose car elle garantit l’immeuble lui-même contre les dommages de nature décennale (c’est-à-dire qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui l’affecte dans l’un de ses éléments constitutifs (ou d’un de ses éléments d’équipement) et qui rendent le bien impropre à sa destination).
C’est aussi une assurance de préfinancement car elle garantit tous les paiements de reprise pour réparer les désordres avant même toute recherche de l’auteur du dommage. Cette assurance permet en effet le préfinancement des travaux pour réparer dans les meilleurs délais les désordres sans attendre de savoir qui est responsable. La mission de recherche du responsable sera donnée à l’assureur dommages-ouvrage mais cette quête de la responsabilité ne sera pas une condition de libération des fonds nécessaires aux travaux de reprises.
Dommages garantis : Les dommages garantis sont les dommages matériels sur l’ouvrage engageant la responsabilité civile des constructeurs au sens de l’article 1792 du code civil et sont donc d’une certaine gravité c’est-à-dire l’impropriété à la destination, l’atteinte à la solidité et l’atteinte à la sécurité des personnes.
On notera que l’indemnité versée pour la réparation de l’ouvrage doit être impérativement affectée à cet effet (Cass 3ème civ 17.12.2003) sans quoi l’assureur pourra demander le remboursement de l’indemnité ou une exclusion de garantie en cas d’aggravation.
Durée de la garantie et mise en œuvre
Cette assurance, qui doit être souscrite avant l’ouverture de chantier ou lors de la déclaration d’ouverture de chantier, couvre une période de 10 ans à compter de la réception. Pour mémoire au regard de l’article 1792-6 al. 1 du Code civil : « La réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. » C’est à ce moment-là que le maitre d’ouvrage constate que les constructeurs ont accompli ou non leurs engagements contractuels.
Sanction et conséquences en cas de défaut de souscription d’assurance dommage ouvrage
Sanctions pénales L’article L243-3 du code des assurances sanctionne pénalement son absence d’un emprisonnement de six mois et/ou d’une amende de 75 000,00 €.
Etant ici précisé que ledit article précise que ces dispositions ne s’appliquent pas pour les particuliers construisant un logement pour eux même ou pour le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
A ce sujet, dans la pratique il est assez peu courant que des particuliers souscrivent cette assurance. Le notaire a l’obligation de mentionner aux termes de l’acte notarié de vente l’existence ou non d’une assurance dommages-ouvrage pour toute vente d’un bien survenant dans les 10ans des travaux de construction. En effet, le notaire engage sa responsabilité civile professionnelle en ne vérifiant pas qu’une assurance dommages-ouvrage a bien été souscrite. La Cour de cassation va jusqu’à affirmer qu’il incombe « au notaire de préciser clairement si les travaux relatifs au bien cédé étaient garantis ou non par une assurance DO » (Civ. 1re, 12 juin 2012, n° 11-18.277).
Sanctions civiles Il n’y pas de sanctions civiles pour le maitre d’ouvrage constructeur (Cass.3ème civ 17.12.2003) mais il n’en est pas de même concernant le vendeur notamment sur le fondement de la perte de chance ou encore pour le syndic si la souscription de la police dommages-ouvrage n’a pas fait l’objet d’un vote en assemblée générale.
Il constate ici l’existence d’un schéma à double détente combinant d’une part une assurance de dommages-ouvrage souscrite par le maître d’ouvrage et d’autre part une assurance de responsabilité civile décennale souscrite par chacun des constructeurs pour couvrir réparer les désordres matériels de nature décennale, mais le tout via une mise en œuvre soumise à des règles strictes.
Bien que le domaine des assurances obligatoires soit assez vaste il ne couvre pas tous les risques d’une opération de construction, ainsi des assurances facultatives se sont multipliées pour compléter cette protection comme notamment l’assurance Tous Risques Chantier (TRC) couvrant la phase du chantier en cours, l’assurance de Responsabilité Civile du Maître d’Ouvrage (RCMO) visant la responsabilité civile du maître d’ouvrage qui commande les travaux, ou encore l’assurance Constructeur Non Réalisateur (CNR) couvrant les vices cachés relevant de l’assurance décennale pour le maître d’ouvrage etc…