Par Pauline LACHICHE, Notaire
C’est toute la question à laquelle la Cour de Cassation a dû répondre. De nombreux Français partent vivre à l’étranger pour des raisons professionnelles ou fiscales voire pour bénéficier d’un cadre de vie plus doux sous des climats ensoleillés. Synonyme de changement de résidence, cette expatriation peut revêtir des conséquences non négligeables au jour du règlement de leur succession. Un arrêt en date du 12 juillet 2023 (Cass. Civ1. 21-10.905) met en exergue que le seul déménagement ne suffit pas à déterminer la résidence habituelle du défunt qui demeure dans l’Etat d’origine si les liens sont plus étroits avec cet Etat.
L’enjeu de connaître la loi applicable à une succession est surtout présent pour les héritiers dits réservataires notamment les enfants nés d’une première union afin qu’ils ne se retrouvent pas confrontés à une loi étrangère qui leur accorderait moins de droits. Bon nombre de Français partent s’établir au Portugal à la retraite comme en témoigne l’engouement de la 10e édition du salon de l’immobilier et de l’investissement qui s’est tenue du 22 au 24 septembre dernier. Cet arrêt de la Cour de cassation permet de faire le point sur la qualification de résidence habituelle qui loin d’être lisboète demeurait bien française.
Quelle réglementation régit une succession internationale ?
La France est soumise, pour régler une succession internationale, au Règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. Applicable aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015, ce Règlement européen est en vigueur dans les Etats membres de l’Union européenne à l’exception du Danemark.
A défaut de choix de loi par le défunt pour la loi de sa nationalité, le Règlement européen retient un critère de rattachement pour déterminer la loi applicable à une succession. Aux termes de l’article 21 1. dudit Règlement, « la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. ». La résidence habituelle est parfois très difficile à déterminer au vu de la vie très internationalisée et mouvante des clients.
Comment est définie la résidence habituelle ?
Le Règlement européen ne donne pas de définition de la notion de résidence habituelle. Pour autant, ses considérants introductifs apportent un faisceau d’indices qui permet de la déterminer. Selon les dispositions européennes contenues dans les considérants 23 à 25, il est nécessaire de procéder à une « évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné. »
« Dans certains cas, il peut s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine. Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D’autres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait. »
Il semblerait que le centre des intérêts de la vie familiale et sociale prédomine pour déterminer la résidence habituelle d’une personne au jour de son décès notamment pour les expatriés qui le sont pour des raisons professionnelles.
Un critère de durée et de régularité est aussi à prendre en considération. La nationalité est par ailleurs un critère subsidiaire si le défunt possédait des biens dans plusieurs Etats.
« En vue de déterminer la loi applicable à la succession, l’autorité chargée de la succession peut, dans des cas exceptionnels où, par exemple, le défunt s’était établi dans l’État de sa résidence habituelle relativement peu de temps avant son décès et que toutes les circonstances de la cause indiquent qu’il entretenait manifestement des liens plus étroits avec un autre État, parvenir à la conclusion que la loi applicable à la succession ne devrait pas être la loi de l’État de résidence habituelle du défunt mais plutôt celle de l’État avec lequel le défunt entretenait manifestement des liens plus étroits. »
Dans le cas d’espèce soumis à la Haute juridiction, un retraité français était parti s’établir au Portugal depuis quelques mois. Ne survivant pas au cancer qui le touchait depuis des années, il laissait sa seconde épouse et des enfants nés d’une première union. Il s’avérerait que voulant privilégier son conjoint survivant, il aurait vendu plusieurs actifs en France en vue de placer les produits des ventes sur un contrat d’assurance-vie dont son épouse figurait parmi les bénéficiaires. Les enfants nés d’une première union du défunt se prévalaient de la résidence habituelle en France de leur père afin d’éviter que soit retenue la loi portugaise comme régissant la succession. La loi portugaise prévoyant moins de droits dans la succession pour les enfants que la loi française, laquelle permet d’éviter que n’échappent à la succession les primes d’assurance manifestement excessives, l’enjeu était de préserver leurs quotes-parts successorales. Les Hauts magistrats ont retenu que :
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- le défunt installé au Portugal depuis moins de cinq mois avait « entrepris très tardivement d’apprendre le portugais,
- qu’au moment de son décès, il était toujours inscrit sur les listes électorales françaises ,
- et que, s’il était propriétaire avec son épouse d’au moins un bien immobilier au Portugal, où ils étaient officiellement domiciliés, ceux-ci détenaient toujours une maison en France »
- qu’il ressortait par ailleurs que « les familles des époux, la plupart de leurs relations amicales, ainsi que les principaux bénéficiaires du contrat d’assurance sur la vie, étaient domiciliés en France. »
De cette analyse de faits, a été déduit que la résidence habituelle du défunt était maintenue en France de sorte que la loi applicable à sa succession était belle et bien la loi française avec à la clé une réserve héréditaire plus conséquente et une protection contre les primes d’assurance-vie excessives en comparaison de l’actif successoral.
La Cour de Cassation avait déjà retenu des éléments de preuve très factuels pour déterminer la résidence habituelle d’un défunt qui partageait son temps entre New-York et Paris (Cass. Civ1. 29 mai 2019, 18-13.383), se basant notamment sur le fait :
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- que la personne avait rédigé son testament à New York, se déclarant dans ce document « résident à New York »,
- que les membres de sa famille proche vivaient majoritairement aux États-Unis,
- que son adresse américaine figurait sur ses passeports, était le siège de sa domiciliation de factures y compris de soins médicaux, précision étant faite que son médecin traitant était new-yorkais,
- qu’elle était domiciliée fiscalement à New York,
- où elle votait régulièrement.
Si le notaire se doit de déterminer la résidence habituelle d’un défunt qui n’avait pas fait le choix de sa loi nationale pour régir sa succession, l’exercice se révèle très factuel. On regrette que ce travail de Sherlock Holmes soit parfois suivi d’un contentieux de nature judiciaire si les héritiers aux intérêts divergents ne parviennent pas à s’accorder sur l’Etat à retenir.
La résidence habituelle gouverne la loi qui régit la succession. Pour autant, les héritiers réservataires bénéficient d’une protection lorsque l’unique objet du changement de résidence serait d’éluder les droits qu’ils tiennent de la loi française. En effet, hormis le cas bien spécifique du prélèvement compensatoire instauré en France, le Règlement européen réserve lui-même le cas de la fraude à la loi qui implique un élément intentionnel. Ainsi, une personne ne pourrait organiser son expatriation dans le seul et unique objectif de contourner la loi successorale française pour soustraire l’héritage escompté par ses enfants.
L’impact de la résidence habituelle sur la compétence de la juridiction
Dès lors que les critères de la résidence habituelle peuvent poser des problèmes de définition, la compétence de la juridiction successorale peut s’avérer problématique. En effet, le Règlement européen prévoit en son article 4 une compétence générale pour « les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ». Le Règlement a une portée universelle en ce qui concerne le choix de loi, il n’est en revanche pas possible de l’étendre à la compétence juridictionnelle des Etats tiers eu égard à leur souveraineté.
Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, l’article 10 du Règlement accorde une compétence subsidiaire à l’Etat membre où sont situés des biens de la succession dès lors notamment que le défunt avait la nationalité de cet Etat. Cette situation n’est pas rare pour un Européen expatrié qui aurait reçu des biens par donation ou succession dans son Etat d’origine. Les héritiers pourraient alors saisir la juridiction concernée pour être certains que le magistrat chargé du litige successoral applique nos règles de droit international privé voire même le droit français le cas échéant. On pensera à cet égard au cas d’une loi étrangère applicable à la succession sur des biens situés en France et pour lesquels les héritiers réservataires évincés pourraient demander l’application du droit de prélèvement compensatoire instauré par l’article 913 alinéa 3 du Code civil au juge français. L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne ayant confirmé que les juridictions européennes doivent relever d’office leur compétence subsidiaire vient renforcer la force de cette compétence (CJUE, 7 avril 2022, Affaire C-645/20).
Si le changement de loi applicable est parfois souhaité, il peut aussi s’avérer que le client qui part en expatriation souhaite maintenir la loi française pour gouverner sa succession. On ne peut donc qu’inciter les clients à consulter en amont un notaire spécialisé en droit international privé pour faire le point sur les outils d’estate planning comme l’est le choix de loi exprimé au sein d’un testament.