28.02.2023

Focus sur la représentation des personnes morales

Par Charles-Edouard Bourget, Notaire associé

Qui n’a jamais reçu de son notaire la demande de la « chaine des pouvoirs permettant de représenter la société partie à l’acte » ?

Mais pourquoi me demander cela alors que je suis associé avec ma femme ? ou pire… le seul associé ? et que c’est moi qui injecte les fonds ?

Focus et explications sur cette nécessaire demande…

Rappelons préliminairement que toute société est dotée de la personnalité juridique et dispose par suite d’un patrimoine propre.

La distinction entre la personne morale et les associés qui la composent est donc inéluctable et entraîne des conséquences : quand bien même je serais le seul associé, l’existence de la personne morale fait que la société a son propre pouvoir de décision, et sa propre capacité d’agir. En outre, les limites statutaires peuvent nécessiter un contrôle renforcé de la part du notaire, pour que les actes accomplis ne soient pas remis en cause.

 

Le pouvoir de décision et le pouvoir d’agir

L’assemblée décide et le représentant légal agit

Les décisions collectives des associés doivent être prises par l’assemblée générale.

Le plus souvent, les statuts prévoient la possibilité d’une consultation écrite, ou par un acte sous seing privé ou authentique constatant le consentement de tous les associés (cf C.Civ., art. 1854 pour les sociétés civiles et C.Com., art. L223-27 pour les SARL ou art. L 227-9 pour les SAS).

Par conséquent, l’intervention de tous les associés à l’acte (par exemple, un acte d’acquisition) n’a pour seul objet que d’autoriser la société à régulariser l’acte.

La capacité d’agir pour le compte de la société, en revanche, n’appartient qu’à son représentant légal, et si, par exemple, le gérant n’est pas l’un des associés, l’intervention de tous les associés ne dispense pas de la représentation par le gérant.

Dans ce cas, il faudra prévoir à l’acte la comparution de l’ensemble des associés pour autoriser l’opération, et la comparution du gérant pour représenter la société et l’engager.

De même, la collectivité des associés ne peut pas donner pouvoir à une personne autre que le représentant légal de la société, pour agir.

Dans ce cas, la délibération des associés autorisera l’acte, et donnera pouvoir au gérant de représenter la société. Le gérant subdélèguera son pouvoir à un tiers (un associé non gérant par exemple) aux termes d’une procuration.

Il conviendra donc de s’assurer que les statuts n’interdisent pas cette subdélégation, et que la décision collective autorisant l’opération autorise la faculté pour le représentant légal de se substituer un tiers.

 

Le sujet de la cogérance

De principe, chaque gérant peut représenter seul la société.

Il détient seul et indépendamment des autres co-gérants, les pouvoirs pour engager la société, sauf le droit pour les autres de s’opposer à toute opération avant qu’elle ne soit conclue.

Toutefois à l’égard des tiers, cette opposition ne sera effective que s’ils en ont eu connaissance.

En cas de co-gérance, le notaire mentionne dans l’acte l’absence d’opposition des autres gérants à l’opération envisagée.

 

Pluri-représentation ?

 Le cas n’est pas rare d’une société civile détenant un actif et d’une société commerciale exploitante.

Les associés étant les mêmes, et le gérant également, comment représenter les sociétés à l’acte de bail ?

De la même façon, dans une vente intra-groupe dont les véhicules ont le même représentant légal, celui-ci peut-il comparaitre seul à l’acte pour représenter le vendeur et l’acquéreur ?

Depuis la Loi du 18 avril 2018 portant ratification de l’Ordonnance du 10 février 2016, les personnes morales sont expressément exclues du champ d’application de l’article 1161 du Code Civil, qui dispose que « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en oppositions d’intérêts ni contracter pour son propre compte avec le représenté. En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié. »

La pluri-représentation est donc possible en matière de personnes morales, sauf, bien évidemment, le respect des statuts et des règles des conventions dites règlementées.

 

Les limites statutaires

L’objet social

 Il est constant que la capacité des personnes morales est limitée par leurs statuts, et notamment leur objet social.

Ainsi, c’est cet objet qui définit la capacité de la société et donc les actions possibles du gérant ; à ce titre, il résulte de l’article 1849 du Code Civil que « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social. »

 Ainsi, la lecture, mais aussi la rédaction, des statuts et particulièrement du titre « Objet social », sont déterminantes pour conférer les pouvoirs d’agir du gérant.

Si le mot « vente » est mentionné dans l’objet social (dans sa forme propre ou par tout synonyme), le gérant dispose du pouvoir d’aliéner un immeuble sans y avoir été autorisé préalablement et spécifiquement par la collectivité des associés.

Il est évident que toute difficulté d’interprétation conduit le notaire à demander une décision collective des associés.

Précisons en outre, que si l’objet social fait référence à l’acquisition, la détention, la vente d’un immeuble déterminé, la vente de celui-ci entrainera la réalisation de l’objet social.

Par suite, la société devrait être dissoute de plein droit en application de l’article 1844-7-2° du Code Civil, de sorte que la vente doit être autorisée par une décision des associés prises dans les conditions d’une modification statutaire.

 

Les pouvoirs du gérant

 Il est courant que les statuts limitent les pouvoirs du gérant, dans le cadre même de l’objet social.

Dans le cas contraire, et en application de l’article 1848 alinéa 1er du Code civil, le gérant peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société et qui entrent dans l’objet social.

Le législateur n’a pas défini ces « actes de gestion » et il semble acquis que ces actes de gestion comprennent les actes d’administration, mais aussi les actes de disposition quand ils entrent dans le cadre de l’exploitation de la société. La vente d’un immeuble ne paraît pas entrer dans le cadre des pouvoirs du gérant.

En cas de non-respect des limitations statutaires (par exemple une clause des statuts stipulant que le gérant ne peut pas hypothéquer un immeuble ou souscrire un emprunt supérieur à 5 M€), notons que la société restera engagée vis-à-vis des tiers.

En effet, les limitations statutaires ne sont pas opposables aux tiers (C.Civ., art. 1849 al 3), peu important qu’ils en aient connaissance ou non.

Cependant la responsabilité du gérant sera engagée, avec un risque notamment de révocation.

Le notaire,  qui s’assure de la sécurité juridique du contrat mais aussi de la société, est donc bien-fondé à demander une décision des associés autorisant l’opération.

On comprend donc que seul le représentant légal de la société (son gérant ou son président) peut agir pour l’engager. Encore faut-il pouvoir justifier de sa nomination à cette fonction, et que la société ait valablement décidé de réaliser l’opération.

Le notaire, lorsqu’il demande une chaîne de pouvoirs justifiée, complète et documentée, ne fait donc que s’assurer de la validité des engagements pris, et par là même de la sécurité juridique des actes qu’il instrumente.

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